Billets qui ont 'Jean-Paul II' comme nom propre.

Lecture et géopolitique

Je lis Rahner au soleil, Qui est ton frère?, article de colloque de 1982 qui rappelle combien le style de Jean-Paul II avait déstabilisé la Curie et les théologiens.
Parmi les intellectuels allemands appartenant à l'Eglise, il y en a beaucoup — disons-le en toute honnêteté — qui estiment que l'actuel pape est bien trop polonais. Mais pourquoi n'aurait-il pas le droit d'être polonais? […] Les «supporters» du Pape (que l'on me pardonne ce terme) devraient ne pas se formaliser de voir un chrétien moins enthousiaste qui, sans pour autant nier la fonction pontificale, fait honnêtement état de ses divergences d'opinion. Cette tolérance réciproque est aussi un aspect de la nécessaire fraternité qui doit régner actuellement à l'intérieur de l'Eglise.

Karl Rahner, Qui est ton frère ? ed. Salvator, Mulhouse 1982
Aujourd'hui nous savons que le pape suivant sera (a été) allemand.


Pour mémoire, Trump a dénoncé aujourd'hui l'accord nucléaire iranien peu après que la Corée du Nord a annoncé la fin de ses essais nucléaires. Tout se passe comme si maintenant que la menace nucléaire s'est éloignée des cotes américaines (l'Alaska), Trump la redirigeait vers Israël et l'Europe.
Der Spiegel fait une analyse proche, même si plus économique.

Lundi

Se profile la première semaine entière de travail depuis longtemps (depuis la semaine du 20 mars, je pense).
Je continue à travailler lentement, une action après l'autre. Tout est très calme. Je n'ai aucun contact avec les administrateurs, les assurés n'appellent plus, personne ne s'inquiète des enveloppes T, du matériel de vote à envoyer. J'avance lentement, sans aucune pression.

A-C au téléphone. Nous parlons famille, enfants et mari. Ce qui ressort finalement, c'est à quel point l'irresponsabilité du conjoint finit par être insupportable. Ne pas pouvoir compter sur l'autre pour la protection du foyer et des enfants finit par dégoûter de la vie commune: à quoi bon? Soudain l'obsessionnel jusqu'au ridicule "il faut protéger ma famille" des films américains finit par trouver un sens.

Humanae Vitae. Dans ce qui suis je mélange réflexions personnelles et prise de notes. Je ne précise pas dans la mesure où le changement de style me paraît suffisant à marquer l'un et l'autre.
Ce texte est une invitation à la spiritualisation du désir.
Comment ne pas sourire ou soupirer ou avoir envie de pleurer en lisant ce texte qui imagine évident et partagé le désir de contrôle de soi et de soumission des instincts. Le problème (l'un des problèmes, mais je crois que c'est le principal) c'est que l'instinct génésique masculin est survalorisé, l'a sans doute toujours été, à la fois dans le temps et l'espace. Les maternités non désirées sont désignées comme mauvaises, non souhaitables, mais le manque d'appétit sexuel est toujours jugé une catastrophe. On lutte contre les maternités par une pilule, contre le défaut d'érection par une autre. Je n'ai jamais entendu personne insinuer que mis ensemble, ces deux "problèmes" n'en sont plus. La tendance du jour serait plutôt de toujours trouver de nouveaux moyens d'exciter et de satisfaire les instincts génésiques.

J'ai entendu un jour (dans le jardin de St-Serge, dans une allée, en passant) un prêtre orthodoxe parler de la gloutonnerie, englobant d'un même mouvement la luxure et la gourmandise en parlant des hommes ventripotents aux multiples enfants et de leur incapacité à contrôler leurs appétits — mais autant leur surpoids ne fait que punir le glouton, autant les multiples enfants punit la mère qui subit deux fois: l'insatiabilité de son mari et les enfants (grossesses et soins du ménage et éducation…) C'est cela qui provoque ce profond sentiment féministe d'injustice dans ces obligations: ce n'est pas celui qui est avide qui en subit les conséquences (eh oui: l'enfant comme malédiction et non bénédiction, c'est que l'Eglise est incapable d'imaginer.)

Ne pas écraser la vie spirituelle par le respect d'une loi extérieure.

L'idéal, le réel, le possible : triade posée par certains théologiens. Benoît XVI refusait de dissocier réalité et idéal, tandis que le pape François parle de l'attention à porter aux situations "non-pleines" (ie accepter les situations non parfaites (ce qui rejoint la loi de gradualité de Jean-Paul II)), dans l'espérance qu'elles sont une étape vers un amour plus grand.

De nombreux théologiens ont protesté (à l'époque de la parution d'Humanae Vitae, 1968), certains ont été interdits d'enseignement.

Michel Bureau, s.j.

Il y a quelques années, Michel accompagnait un groupe d'étudiants à Castel Gandolfo. Ils furent présentés au pape.
Jean-Paul II passe, revient sur ses pas et s'étonne: «Un jésuite avec une moustache?»
Puis il s'éloigne.

(Il faut dire que la moustache de Michel était formidable.)

Coluche, l'histoire d'un mec

Les critiques sont mitigées, et je pense comprendre pourquoi: ceux qui vont voir ce film en pensant rire pendant deux heures devant des sketches doivent être très déçus. Ceux qui connaissent l'histoire de Coluche (et qui supportent le personnage, mais dans le cas contraire, pourquoi aller voir un tel film?) sont tristes. Ce film ne leur apprend rien mais leur rappelle beaucoup de choses.

Ce film est un déclencheur de nostalgie. Je ne sais pas ce que peuvent y comprendre les trentenaires, les vingtenaires. Je repense à l'époque qui s'annonçait en 1980, dix à quinze ans de Reagan/Thatcher/Mitterrand/Jean-Paul II. La compagnie créole chante «T'es OK, t'es bath», Georges Marchais donne des interviews (je n'avais jamais vu Marchais à la télévision... je l'ai vu pour la première fois ce soir. Je vivais dans une famille un peu bizarre, pas de sexe, pas de politique, pas de films en noir et blanc, pas de films sous-titrés, pas de westerns, du sport, «t'as fait tes devoirs?» (et la réponse était toujours oui même quand c'était faux), et c'était tout), les postes de radio sont énormes, les lunettes aussi. Je n'avais jamais écouté un sketch de Coluche à la maison (trop vulgaire (plus tard, quand il animerait une émission sur Europe 1, je l'entendrais en revanche chaque fois que je serais dans la cuisine: ma mère n'écoute qu'Europe 1 («parce qu'on écoutait obligatoirement RTL chez moi quand j'étais petite» (Moralité j'écoutais RTL, Les grosses têtes et Julien Lepers... tout cela est tellement prévisible)))), mais j'avais une copine qui les connaissait par cœur, Coluche, Renaud, Magdane, Balavoine, un peu Desproges, que le monde était étroit et l'horizon resserré. (Coluche sur Europe 1, c'était le plus souvent insupportable de vulgarité. Il s'est passé pour Coluche la même chose que pour les Guignols de l'info: j'ai eu la chance de ne pas l'écouter en direct, mais de n'en connaître que les moments les plus pertinents, les phrases les plus justes, sélectionnés par mes amis.)

Je me souviens de Jean-Louis disant dans les écuries, alors qu'on lui apprenait la grève de la faim de Coluche, «Coluche fait la grève de la faim? Mais non, il est au régime», je me souviens de la façon dont j'ai appris l'élection de Mitterrand, assise sur un seau dans le hangar à bateau après une régate, attendant que mes parents viennent me chercher, je me souviens de la mort de Coluche, de la rumeur qui a couru (était-ce vraiment un accident?) et du disque de Renaud. Souvent je me dis qu'il manque aujourd'hui un œil aussi vif, un esprit aussi prompt à saisir et saisir l'essence d'une situation. Je me demande ce qu'il l'aurait pensé des émeutes de 2005 ou d' Entre les murs, par exemple. Il ne faisait pas spécialement dans le politiquement correct. En tout cas, il se serait bien moqué des "cinq fruits et légumes par jour" sous la pub Coca zéro imitant James Bond, et ça m'aurait fait du bien. Personnellement, il me manque davantage que Philippe Muray.

En regardant le film, l'accueil que les petites gens dans les villes touchées par le chômage (1,5 million de chômeurs, c'était effrayant et ça fait rêver) réservait à Coluche, je me dis qu'il ne faut pas chercher loin ceux qui ont voté Le Pen en 2002: on ne peut pas éternellement désespérer et Billancourt, et Longwy, et Saint-Etienne, et...
Coluche, Le Pen, Bayrou : le système est à la recherche d'une possibilité de fonctionner autrement, mais il est trop bien verrouillé. Est-ce un bien, est-ce un mal?

Le film se termine sur une allusion aux Restos du cœur. Quelques minutes avant, je venais de dire à H.: «J'ai beau savoir que c'est injuste, pour moi Mitterrand, c'est l'apparition des SDF». (Ç'avait été l'un de mes étonnements de retour du Maroc à huit ans: il n'y avait pas de mendiants. Etaient-ils enfermés? Dix ans plus tard, j'avais ma réponse.)

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